Abaji

Rencontre avec un musicien extraordinaire.

Abaji reçoit chez lui. Oui, c’est comme ça et Xavier de chez Attitude m’avait prévenu que ce rendez-vous ne serait pas banal. J’avais accepté, rendu curieux par l’écoute et l’appréciation sincère de son dernier disque Route and Roots, magnifique cocktail de sons qui font voyager vers un Orient rêveur et amical.

Ce matin-là est enfin arrivé ; Abaji et moi discutons avec passion dans la cuisine de sa maison, autour d’un café et le temps hors contrainte de cette conversation prend une valeur forte, tant nous avons de sujets en commun. Ce musicien parle avec précision et clarté, ses messages sont riches et sa vie est un véritable carnet de route des musiques du monde. Ses origines à lui ? Un tissage de fils venus d’Arménie, de Turquie et de Grèce, passant par le Liban et, chance pour notre culture commune, ceux qui portent haut l’enseignement du français hors de nos frontières. Et sinon ? Ses concerts dans 50 pays, 30 ans de métier…

C’est à un ethno-musicologue expert que nous avons affaire, qui a construit une étonnante carrière. Fort de 25 disques dans le domaine de la musique illustrative multi-style et raffinée (films, documentaires, publicités, et même… restaurants chinois) et de 6 albums de ses propres créations.

abajiEn effet, Abaji pense, vit, compose, écrit, joue, adapte, découvre et édite sa musique de façon créative et fondamentale. Son style est la croisée de mille chemins, tant il a le goût de mélanger les influences, allant jusqu’à créer ses propres instruments. Citons la guitare-oud, le bouzouki en open tuning ou des choses magiques que vous n’aurez jamais imaginées : l’homme possède près de 400 instruments dans sa maison-studio.

Nous parlons, échangeons, il s’anime, se lève, saisit sa guitare-oud, me fait entendre des accords, me montre encore d’autres merveilles : je suis à Beyrouth, nous voilà dans le désert, puis l’Arménie est sous nos yeux, je pars à Shangaï, et me revoilà avec lui à Essaouira sous le charme d’un vieux musicien Gnawa de 92 ans qui se met à danser au son de sa musique. Je vous l’avais dit, nous sortons ici de l’ordinaire pour un transport magique.

Et nous évoquons d’autres musiciens hybrides, explorateurs : Ibrahim Maalouf, dont le père a créé la trompette à quatre pistons qui permet les quarts de ton. Serge Teyssot-Gay et son incursion fabuleuse dans l’Interzone. Bachar Mar-Khalifé, issu d’une famille remarquable de musiciens libanais. Et puis encore Gabriel Yared, qui a eu la générosité de lui offrir ses premières séances d’enregistrement, il y a près de trente ans (5000 francs, à l’époque c’était une belle somme). Il connaît aussi bien la Clef, Saint-Germain en Laye où il a joué et c’est dans cette ville internationale qu’il a rencontré Team Laser, luthier-fabricant de bien de ses instruments mutants.

Le temps a filé et nous avons accroché sur la musique, comme sur sa profonde philosophie de vie : connecter les âmes et les pays par la notion de pont. Une heure avec lui guérirait le plus raciste des hommes, donnerait à un type qui aurait vécu toute sa vie dans une ferme de Corrèze l’envie d’embrasser un Zoulou ou de faire la fête avec un carioca. One world, c’est Abaji, et … always work in progress.

Un pont c’est ce qui est visé en premier dans un conflit, me rappelle-t-il, et son doux Liban en a payé le prix… Mais lui poursuit inlassablement sa quête de partage des richesses musicales, par son acharnement à trouver ce qui est le chaînon manquant entre les univers. Faire la musique que je ne sais pas que je sais faire, me dit-il encore, de la musique non traditionnelle à partir d’un instrument traditionnel

Lecteurs de Songazine, une seule recommandation : penchez-vous sur le répertoire d’Abaji, nul besoin de passeport pour un world trip qui a du sens et ne vous ennuiera jamais.

Et si un jour, il y a un gouvernement mondial, Abaji en sera Ministre de la Culture et vous aimerez ça.

Jérôme « Kurzweil » V.

CD Route and Roots

En concert le 9 avril au Pan Piper, Paris

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