Saxophoniste et compositeur français, figure discrète de la scène jazz contemporaine, Christophe Panzani poursuit avec Garde Fous (Sorti le 12 sept 2025  – Quiet Blue), son exploration du son et du temps, dans la continuité subtile de Mères Océans (CHOC JazzMagazine, The Drops Music, 2024).

Son jeu est précis, sans effet. Une empreinte sonore qui me touche sans que je sache vraiment pourquoi.

À l’occasion de la sortie de Garde Fous, il a accordé une interview à Songazine. Entre pudeur et justesse, il prolonge une trajectoire musicale marquée par la retenue, la rigueur et la recherche d’équilibre.
Une musique qui, sans jamais forcer, questionne le temps et ce qui tient encore debout quand tout vacille.

La musique comme garde-fou

C’était un acte manqué : ce jour-là, je me trouvais à Bastille pour un déjeuner… qui n’aurait pas lieu. Je décidais de rester dans le quartier, un peu pour travailler, un peu pour ne pas rentrer. Et, portée par le besoin d’échapper un moment au monde, je décidais en fin de journée de me réfugier dans les sous-sols du Sunset Sunside pour écouter Christophe Panzani présenter Garde Fous.

J’avais écouté, réécouté en boucle Mères Océans. Composé durant la maladie de sa mère, ce disque porte une charge émotionnelle profonde mais d’une pudeur extrême. Christophe Panzani y écrit pour elle et pour lui. On y entend la douceur du lien et la violence contenue du passage.

Ce soir-là, au Sunset, il rejoue Mères Océans et présente Garde Fous. Je retrouve la même retenue, la même intensité et surtout cette empreinte sonore délicate du saxophoniste, entouré du pianiste Enzo Carniel, du batteur Guilhem Flouzat et de Tony Paeleman, qui assure, entre autres, les basses au synthé et les textures sonores au Prophet. La musique est d’une douceur précise. Chaque instrument trouve sa place et par moments, le son du saxophone semble flotter dans un coton clair, apaisant sans jamais s’effacer.

À la sortie du concert, encore dans l’émotion, je lui propose spontanément une interview pour Songazine. Il accepte, avec simplicité et enthousiasme. Ce sera une conversation sur le son, le temps, le contrôle… et nos garde-fous.

Il parle doucement. Il prend le temps de répondre, cherche ses mots, reformule parfois.
Quand il évoque sa manière de travailler, c’est avec la même retenue : composer, laisser reposer, attendre que la forme revienne d’elle-même. « Je compose au piano, je laisse reposer, j’écoute ce qui revient », dit-il. Il parle aussi du contrôle, notion centrale dans sa musique : « Dire non au contrôle, accepter ce qui survient. »

Les phrases sont simples, précises : il dit ce qu’il fait, sans commentaire. Ce calme, cette précision, cette attention au détail laissent deviner un musicien concentré, patient, attentif à ne pas forcer le temps.

De Mères Océans à Garde Fous : une continuité musicale

« Garde Fous est la suite de Mères Océans dans le sens où c’est là où j’en suis de mon exploration musicale. » Il précise aussitôt : ce n’est pas un retour, ni la suite d’une émotion, mais « la continuité d’un chemin musical ».

Des questions rythmiques, apparues pendant la composition de Mères Océans, l’ont conduit à inventer sa propre réponse sonore et technique. Il a accepté la contrainte de ce hasard : s’immerger lui-même dans la production, créer les sons électroniques, les faire cohabiter avec ses harmonies naturelles, sans les dénaturer. « Une expérience complètement nouvelle », confie-t-il, une manière aussi de répondre au défi de la modernité dans le jazz.

Les corps chauds – Christophe Panzani – Mères, océans – ℗ The Drops Music Released on: 2024-03-29 

Dans cette continuité, Garde Fous déploie un son dense, parfois rugueux et pourtant limpide, en écho aux tensions du temps présent et à la recherche d’un point d’appui.

Le morceau-titre en est l’image explique Christophe Panzani : une note tenue, obstinée, pendant que les instruments autour tentent de la faire dévier. De cette tension naît un combat entre constance et chaos, que chaque musicien, sur scène, peut choisir de renforcer par un mouvement imprévu, une rupture, une nouvelle direction à laquelle les trois autres doivent s’adapter.

Garde Fous – Christophe Panzani – Garde Fous – ℗ The Drops Music Released on: 2025-09-12

Dire “non” au contrôle, accepter ce qui survient : c’est là tout l’esprit du jazz. Et chez Christophe Panzani, il semble que cette idée dépasse l’improvisation. La musique, pour lui, n’est pas là pour raconter une histoire unique, mais pour susciter des images différentes pour chacun. Et il rit en ajoutant qu’il est, peut-être, « un impressionniste musical » : « La musique n’exprime pas quelque chose, elle crée des impressions. »

Et à propos de ses auditeurs, il ajoute : « Si ma musique fait ressentir quelque chose, ça marche. Ce qu’ils ressentent, c’est forcément la vérité, la leur. Je ne peux pas décider de ce qu’ils doivent ressentir, ni de ce qu’ils ne doivent pas ressentir. »

Avant le matin – Christophe Panzani – Garde Fous  – ℗ The Drops Music Released on: 2025-09-12

Le “bonbon” : accepter l’instant juste

Dans ce rapport à ce qui est ou n’est pas, Christophe Panzani glisse dans le concert un « Bonbon ». C’est une mélodie simple, belle, presque naïve, qui prend tout son sens au milieu des morceaux plus en tension.

« Cette mélodie me revenait en tête depuis des années. Mais je pensais devoir l’enrichir sans voir comment… La veille du concert, elle est revenue. Et j’ai compris qu’elle se suffisait à elle-même. »

Si le morceau n’était pas prévu dans le set, ce soir-là, il y a pourtant trouvé sa place, par deux fois, « Parce que c’était le moment juste », explique le saxophoniste.

Cette disponibilité à ce qui vient s’oppose à la cadence imposée du monde musical : produire vite, livrer vite. Christophe Panzani préfère laisser les idées décanter, revenir, s’imposer d’elles-mêmes. Le “bonbon” est né ainsi : de l’acceptation du temps long et de l’instant juste, précise-t-il.

Sa méthode tient dans ce principe : composer au piano, laisser reposer, écouter ce qui revient. Il cite Chick Corea, qui écrivait, déchirait, réécrivait, jusqu’à ce que la forme s’impose d’elle-même, dans sa version la plus pure.

Dans son écriture comme dans sa présence, Christophe Panzani semble choisir la confiance en ce qui doit advenir.

Pourquoi l’écouter ?

Après la douceur contenue de Mères Océans, Garde Fous poursuit la recherche sonore de Christophe Panzani : une musique plus rythmique, traversée d’électronique, mais toujours ancrée dans la nuance et la retenue.

Une œuvre d’équilibre et de tension maîtrisée, où chaque son semble trouver sa place. Une musique comme un garde-fou intérieur face au tumulte ambiant.

MJG

Christophe Panzani : ténor sax, drum programming
Tony Paeleman : synths, bass synth, upright piano, recording, mixing
Enzo Carniel : grand piano

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