Laurent Montagne s’est affranchi de son groupe originel, Les Acrobates, au milieu des années 2000. Ce touche-à-tout du rock français est autant capable de faire écrire des dizaines de chansons à des groupes d’enfants (Rue Chocolat) et d’adorer ça, que de concocter un album comme Souviens-moi, sorti le mois dernier, qui est un recueil de dix perles rares à découvrir.
Une Peau d’âme, cet album. Comme une Vénus qu’il aurait modelée. Laurent Montagne l’a imaginé, creusé, façonné, mais pas lissé : il est le « reflet de [son] être ». Parce qu’il ne fait pas de l’art populaire, Laurent Montagne, il ne fait pas des chansons commerciales qui entêtent et répètent bêtement. Ce chanteur-là sélectionne chaque mot, chaque sonorité, pour que l’ensemble dresse un tableau d’une beauté littéraire absolue.
L’opus s’ouvre sur une invitation à retrouver la flamme originelle, « ça ne te dirait pas de faire comme si on ne se connaissait pas », sur un accompagnement épuré, en quasi parlé-chanté, d’une simplicité désarmante. Cette voix atypique évoque immédiatement un punk qui se serait un peu radouci, beaucoup assagi, un punk arrivé à pleine maturation.
Laurent Montagne passe d’une élégie (Souviens-moi) à des indignations politiques et sociales (Il Pleut, Le Système).
Le lien, ce sont les sentiments forts, les émotions. De l’exécration pour La Rumeur, qui décrit cette immondice avec force allitérations, nourri par les feux de la haine, à des chansons naturalistes, l’artiste décrit (et décrie) très justement le monde qui l’entoure, (Maguelone – sublime titre qui évoque une ancienne île volcanique située dans l’Hérault, Ma Ville et La Vallée du Rhône). Oui, n’ayons pas peur de la comparaison, il y a eu « La Montagne » de Jean Ferrat, et il y a cette « Vallée du Rhône » de Laurent Montagne. On la contemple, cette vallée, mais on s’attriste et on s’indigne de la fermeture des usines et de la pauvreté qui s’y installe. Laurent Montagne vit son époque, et ce n’est pas l’exode rural qu’il peut déplorer en 2019, mais la délocalisation massive.
Le titre « Chanson » retiendra indéniablement le souffle de qui reconnaît la difficulté à écrire et composer. Une « Chanson » personnifiée, à laquelle on s’adresse à la deuxième personne du singulier, même si elle n’existe pas encore, même si Laurent Montagne ne connaît pas encore la direction qu’il lui fera prendre, à cette chanson.Toute la puissance de celui qui tient le crayon est réunie, là, dans ces mots. Toute la dichotomie induite par la création se trouve dans cette analyse en miroir. « j’te veux simple mais pas bête / Comme un cri de révolte / comme une ode au voyage / une lueur poétique / Une ouvrière de l’âme ». Apothéotique.
Souviens-moi est un album d’une intensité poétique rare.
Violette Dubreuil