Je n’ai pas pu assister au live de lancement du premier album Trample the Past du groupe The Old Man’s Wisdom au Supersonic ce 5 janvier 2018. J’ai donc hérité d’un gage par le rédac’ chef de Songazine, celui d’écrire une chronique sur le rap. Autant dire que même si j’en ai jadis écouté, cela ne coule pas de source d’inspiration pour moi qui suis plutôt branchée rock, électro, pop, trip hop etc. Alors je l’ai pris au mot, et voici ce que le flot de la vibe rappeuse a déposé sur ma page, inspirée que je fus à l’écoute hasardeuse du titre La nuit les étoiles sur Youtube. Ce titre invite à la poésie et c’est ce qui a attiré mes yeux et oreilles. C’est le duo du jeune rappeur parisien Hyacinthe, membre du collectif DFHDGB, qui a inventé le gabber rap, mêlant techno early hardcore des années 90 au rap et Jok’Air, rappeur du 13e arrondissement parisien, membre de MZ. Les deux comp’airs se connaissent et sont amis depuis le lycée, dans la même classe d’où ils préféraient se faire sortir afin de passer à une autre transmission plus perso en enregistrant artisanalement des mixtapes maison. Hyacinthe, serial rappeur à texte, hip hopeur top s’allie pour cette troisième collaboraption à la dextérité vocale tout en grâce de Jok’Air, homme à double face, non seul et solitaire.

Cet hymne aux étoiles en tous lieux et sous toutes formes figure sur l’album de Hyacinthe intitulé Sarah, sorti le 7 juin 2017. Ce qui a attiré mon œil c’est la frappante ressemblance entre les deux rappeurs en couverture et l’effigie des quatre présidents américains sculptés dans le roc du Mont Rushmore, dans le Dakota du sud aux Etats-Unis. En effet, en un dégradé bleu nuit, leurs deux visages à faces visibles font irruption de la roche le regard projeté vers les étoiles dans la même direction. C’est ce qu’écrivit justement Antoine de Saint Exupéry « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction » dans Terre des Hommes (1939) livrant sa vision de la pensée humaniste. De la combinaison de leurs deux styles sort du rap en effusion. Cet émorap illumine un texte non moins dénonciateur, beaucoup plus calme, qui contraste avec les clichés du rap, bling bling, bing bing, violent et rabaissant la gente féminine à de la mauvaise pub pour maillots bi(riquiqui)kini, bijoux ou talons trop hauts pour être vrais se déhanchant et desservant leurs yeux de « bi(t)ch(e) ». Hyacinthe s’éloigne ainsi du style gabber de son précédent single Sur ma vie d’avril 2017. Notes et mots profitent de la nuit plus solitaire pour élever regards et esprits vers les paillettes du maquillage lumineux du ciel. Le seul hic de la muse de nuit est qu’elle a besoin de plus de lumière pour inspirer. Aussi le clip pixellisé peut surprendre mais accompagne bien la complainte lascive personnelle et mélancolique d’une ballade nocturne de deux corps en irruption cutanée d’aurores boréales, acteurs d’une nuit filmant leur débat sous les étoiles.

Les maux lancinants sont suggérés par des mots mis en vers imprégnés de mélancolie lucide. Trans-Lucidité même, vu qu’à Paris les étoiles ne se voient pas la nuit, et c’est peut-être ce qui pave les pas d’un Jok’Air introductif collectionnant verres et cigarettes en dérapant sur la partie d’échecs d’une vie de « tiek » (ou tiéquar ou quartier) bien loin des lumières sans filtres d’Hollywood, éblouissant les étoiles de boulevards avec beaucoup moins de couacs visibles. Même les étoiles portent un masque qui est spécialement dédié aux deux solitaires de nuit qui dirigent en couplets leurs regards vers ce ciel de diamants et se rejoignent au refrain. Mais c’est un ciel qui déverse de l’alcool sur le feu de plaies saignantes, intrigue les yeux fatigués d’attendre des réalisations promises, ou qui arrose la nudité de corps exaltés et extasiés le temps d’une averse. Les démons de nuit apparaissent et cette perte est évoquée par « Des fleurs sur mes pleurs » répétés avant le refrain unifié de Jok’Air et Hyacinthe. L’ivresse du vide lorsqu’ils regardent le ciel happent peut-être ce rap de noctambules. Des thèmes forts parachèvent l’exposé de griefs contre la vie avec « spleen », « tragédie » le temps qui passe sans qu’on l’oublie, en perte et en fuite. Le « narrappeur » se justifie de ces pleurs de la pluie sur la ville de sa vie, sur la dépossession des personnes et des biens qu’il subit ou fait subir, sur la perte de confiance mais le gain de distance, de conscience, d’insouciance absorbées par ce buvard gravé aux étoiles de cinéma des pavés. Car la Terre en boule a une facette qui brille toujours lorsque le soleil est du côté opposé aux étoiles, rayonnantes de jour comme de nuit àla comédie de (Hollywood) boulevard. Pour tout ça, on peut décerner à Hyacinthe et Jok’Air le titre d’étoiles de la constellation rap française actuelle.
Van Mdbs

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