Hier soir, et avec un peu d’imagination, le boulevard des Capucines avait des allures de rue de Siam, le quai du Louvre ressemblait à s’y méprendre au quai du Commandant Malbert et la sirène aux longs cheveux d’or, figure de proue de La Recouvrance, port altier, avait pris ses quartiers dans le Port de l’Arsenal, à quelques encablures de Bastille.
Oui hier soir, Paris c’était Brest-même gast !
Car, nom d’un kig ha farz, après neuf ans d’absence, Matmatah nous avait donné rendez-vous sur la scène de l’Olympia.
Les plus chanceux auront misé sur le 5, numéro fétiche de la soirée :
5 sur scène : le line-up historique, Tristan ‘’Stan’’ Nihouarn (chant, guitare, flûte), Eric Digaire (basse) et Benoît ‘’Scholl’’ Fournier (batterie), rejoints plus récemment par Emmanuel Baroux, ex-Astonvilla, à la guitare et Julien Carton (claviers).
5ème album (‘’Plates Coutures’’), enregistré en Angleterre et ‘’peaufiné’’ dans les studios Abbey Road chers aux ‘’Fab Four’’.
5ème concert de la tournée, après les quatre concerts inauguraux en terre bretonne, à Saint-Brieuc, Quéven, Brest et Rennes, et avant d’enchaîner sur près de 80 dates à travers la France !
La salle était comble de Bretons âgés de 25 à 60 ans, de Paris ou d’ailleurs ; dont Loïc et Hélène (sans les garçons, assez grands désormais pour rester seuls à la maison) de Penmarc’h, mon ami de 25 ans Jérôme ‘’Bigoudène’’ V., ancien trublion au lycée de l’Harteloire dans ses vertes années, et toute une foule de bretonnants en goguette, qui se sont peut-être croisés un jour au P’tit Minou ou à La Carène, sans forcément le savoir, ravis ce soir de retrouver le groupe porte-drapeau de tout un peuple.
Car (l’her)mine de rien, Matmatah, avec ses 1.3 millions de squeuds vendus depuis sa création en 1995, et des tournées un peu partout dans le monde, est un putain de groupe étendard qui compte dans le Landerneau de la scène rock française.
Le « Ici c’est Brest » scandé par la foule avait remplacé pour un soir le « Ici c’est Paris » entonné dans les travées du Parc pour booster l’équipe résidente.
A l’image de Cure lors de leurs concerts en France fin 2016, où tout était à l’identique des années 80 – la voix intacte de Robert Smith, la basse de Simon Gallup -, Matmatah produit toujours ce son très rock, avec des lignes de guitares et une basse très en avant, teinté de musique traditionnelle bretonne.
Matmatah, ce ne sont pas ces amis Facebook qui disparaissent à mesure que ta date de déménagement arrive….
Matmatah, ce serait plutôt des amis vannetais de trente ans, perdus de vue à un moment donné, et que tu retrouverais un soir dix ans après, pour siroter un verre de gwin ru ou un Zacapa 23 ans Solera. Des amis avec qui tu te remémorerais pour la 3676e fois les mêmes souvenirs partagés, les sempiternelles anecdotes et blagues potaches et avec qui tu reprendrais instantanément la conversation là où tu l’avais interrompue dix ans plus tôt, jusque très tard dans la nuit.
19 titres seront joués ce soir au total : 4 titres tirés du 1er album ‘’La Ouache’’ (1998), 2 titres du 2ème album ‘’Rebelote’’ (2001), ‘’Archimède’’, ‘’pas joué sur scène depuis 2001’’, 3 titres du 3ème album ‘’Archie Kramer’’ (2004), 3 titres du 4ème album ‘’La Cerise’’ (2007) et 7 titres des 11 que compte le nouvel album ‘’Plates coutures’’.
‘’Emma’’ (Emma why-a why-a Emma why-a-é / Emma why-a why-a Emma why-a-a) est un hymne intemporel qui a le don de mettre tout bretonnant en transe musicale.
‘’Lambé An Dro’’ est à la jeunesse d’aujourd’hui ce que le tubesque « La Paimpolaise » du DJ résident Théodore Botrel était à celle de 1895.
On retiendra aussi trois titres issus du nouvel album :
‘’Marée haute’’, brûlante d’actualité puisqu’elle parle d’un personnage politique mouillé dans les affaires (Et voici qu’on frappe à ma porte / Comme l’animal que l’on débusque / Pourquoi me traiter de la sorte ? / De quoi m’accuse-t-on au juste ? Quelques détournements de fonds / Fiscalité frauduleuse / Les erreurs de facturation)…
Comme l’on prévient au générique de début : ‘’Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite’’…
“Ça fait longtemps qu’on a écrit cette chanson. On dénonce ceux qui sont au pouvoir et qui s’y accrochent à n’importe quel prix. Ils sont comme des junkies. Le pouvoir est une drogue”.
‘’Toboggan’’, 9’47’’ de son rock progressif floydien, à l’intro planante puis des guitares soudainement saturées et une ligne de basse d’inspiration marquée (‘’With or without you’’ de U2).
‘’Peshmerga’’, en hommage aux combattants Kurdes au nord de l’Irak.
Il aura peut-être manqué ce soir un ou deux hymnes fédérateurs supplémentaires pour définitivement mettre le feu à la maison Coquatrix fondée en 1893.
« Dessine-moi un mouton » demandait le Petit Prince à l’aviateur. Hier soir, on se serait foutu qu’il soit déjà très malade, qu’il ressemble à un bélier, qu’il ait des cornes ou qu’il soit trop vieux. Mais ‘’Les Moutons’’, réclamé à hue et à dia, ne viendra finalement pas.
Les gars, sachez que malgré l’âge avancé, on est encore vaillants et on a la patate (la bintje est la meilleure des variétés) pour pouvoir sauter pendant 3’48’’ sans même renverser la Diaoul bier an Ankou ambrée (cervoise de Bretagne au chouchen, 6.5°) qu’on a dans la main !
Vas-y, mélaouache Stan! On était fin prêts à chanter « qui ne saute pas n’est pas brestois » comme aux plus grandes heures du stade Francis-Le Blé !
Tellement chauds qu’on aurait été capables, après s’être enfilé une douzaine de galettes saucisses et trois bières d’entraînement, de partir à la nage depuis le port de commerce de Brest jusqu’à Molène !
Pour la prochaine fois sans doute. Mais c’était déjà très bien de se revoir.
Alechinsky
Set list : Petite frappe / Quelques sourires / Il fait beau sur la France / Marée haute / Gotta Go Now / Lésine pas / Emma / Archimède / Au conditionnel / Nous y sommes / La Cerise / Le festin de Bianca / Retour à la normale / Crépuscule dandy / Lambé An Dro. Encore : Toboggan / Derrière ton dos / L’apologie. Encore 2 : Peshmerga.