S’il vous plait, je vous en prie.
Prêtez-vous à un exercice de l’esprit.
Appuyez sur Play, et écoutez-le. Puis ou en même temps, lisez-moi.
Laissez-vous porter par l’expérience de Joel Henry Little et de son opus « Great Kills Friendship Club »
Il y a certains albums qui te plongent dans les souvenirs d’une expérience esthétique, un lieu, un moment de la journée ou d’une saison particulière.
A moins que tu l’aies vraiment vécue, cette expérience esthétique ne te dit rien du moment où tu l’as croisée, de cela il ne reste aucun souvenir.
C’est sans doute la magie du souvenir d’enfance, une mémoire vague et chaude, une sorte de passage dans la boite des souvenirs, un passage vers les impressions immuables. Et certains albums restent dans le top des impressions immuables, comme des exempla . Je n’en ai pas beaucoup, mais celui-ci vient d’y bondir, de gravir tous les échelons de la critique pour se mettre du côté des grands.
Comment a-t-il réussi à grimper en haut de l’échelle, et à se faire une place sur la lune.
A la première écoute de cet album de Joel Henry Little, ce qui m’est venu c’est à peu près ça : Noël, la nuit, le froid dehors, la chaleur d’un appartement, d’un feu, d’un fauteuil en cuir, d’un plaid blanc duveteux, une tasse de thé chaud. Le cliché (photographique ?) est intérieur tout comme extérieur : les rues de New York noires et enluminées par les tâches jaunes des phares des voitures et des décorations de Noël. Vous y êtes ? Oui, je parle bien de ces albums : ceux qui te plongent dans un voyage intérieur.
Il est évident que cette impression fugace est profondément personnelle, mais mine de rien elle installe des associations d’idées qui sont : Lou Reed, Transformer, Neil Young, Harvest, mais aussi Rufus Wainwright et même Sufjan Stevens dans leurs beautés des années 2000. Mes disques du haut de l’échelle, qui se baladent dans les nuages de mon monde supralunaire.
Est-ce à partir de cela qu’on écrit une chronique d’un album qui a produit en nous un choc fulgurant ? Les influences que beaucoup lâchent par mimétisme, par reconnaissance, d’un riff, d’un grincement de voix, ne sont-elles pas plus sérieuses quand on prend en compte les associations d’idées, ce que les images des chants, de la métrique, du rythme et de l’harmonie provoquent en nous, et comment les associons-nous dans notre esprit ?
Trève de diatribe esthétique, Great Kills Friendship Club est un excellent album. Pour moi, ce qui participe à la production puis la diffusion d’une œuvre, d’un ergon, c’est bien ce choc, cette fulguration qui nous traverse à son écoute, qui nous fait reconnaître quelque chose qu’on aime bien, qui nous fait dire, « ça c’est lui », mais aussi « « ça c’est moi ».
Je n’ai pas envie de vous décrire cette musique : ce serait une perte de l’essence de la musique de Joel. Personne n’a envie de la décortiquer. Dans son unité, elle brille tellement.
Et personne n’a envie de gouter sur un trottoir de New York, personne n’a envie d’être cette tâche d’huile qui s’évapore au soleil ou glisse dans la ville basse. Joel Henry Little s’est accroché à la lune. C’est une musique céleste. Qu’elle prenne de la hauteur, encore et encore…
Great Kills Friendship Club
Sortie 13/10/2017
Label Microcultures
Lucie Mesuret pour Songazine